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Résumé

Une équation diophantienne est une équation à coefficients entiers dont on cherche des solutions entières. Dans ce chapitre, nous étudions deux équations diophantiennes particulières, à savoir l'équation de Pythagore et l'équation de Pell. La méthode de la descente infinie, permettant de résoudre certaines équations de ce type, est également expliquée.

Ce chapitre a été écrit par F. Bourgeois et N. Radu et mis en ligne le 8 décembre 2014.

1. Introduction

Une équation diophantienne est un terme assez général pour désigner une équation dont les coefficients sont entiers et dont on cherche des solutions entières. Nous avons en fait déjà rencontré une équation diophantienne : l'équation
$$ax+by=c$$ avec $a, b, c \in \mathbb{Z}$ et d'inconnues $x, y \in \mathbb{Z}$. Nous avons démontré grâce au théorème de Bézout que cette équation possède une solution si et seulement si $c$ est un multiple de $(a, b)$, et nous avons même vu qu'elle avait dans ce cas une infinité de solutions.

Il existe bien sûr des équations diophantiennes en tout genre, et il n'est pas possible de donner des solutions générales à chacune d'entre elles. Ce qui rend ces équations intéressantes est justement qu'elles peuvent s'écrire très simplement mais que leur résolution peut parfois se révéler très ardue. Gauss disait lui-même à leur sujet : "Leur charme particulier vient de la simplicité des énoncés jointe à la difficulté des preuves."

2. Triplets pythagoriciens

Un autre exemple d'équation diophantienne est l'équation
$$x^2 + y^2 = z^2,$$ d'inconnues $x, y, z \in \mathbb{N}_0$.

Définition
Une solution $(x,y,z)$ de cette équation est appelée triplet pythagoricien en référence au fait qu'on peut alors construire un triangle rectangle dont les longueurs des côtés sont données par $x$, $y$ et $z$.

Exemples : Les triplets $(3,4,5)$ $(6,8,10)$, ou encore $(5,12,13)$ sont pythagoriciens.

Encore une fois, alors que cette équation semble toute simple, nous allons voir que sa résolution l'est bien moins. On peut tout de même déjà remarquer que si $(x, y, z)$ est un triplet pythagoricien, alors il en est de même de $(kx, ky, kz)$ pour $k \in \mathbb{N}_0$. Réciproquement, si $(x, y, z)$ est un triplet pythagoricien tel que $\mathrm{pgcd}(x, y, z) = d > 1$, alors $(\frac xd, \frac yd, \frac zd)$ est aussi un triplet pythagoricien avec $\mathrm{pgcd}(\frac xd, \frac yd, \frac zd) = 1$. C'est pourquoi, pour trouver tous les triplets pythagoriciens, il suffit de trouver ceux tels que $x$, $y$ et $z$ sont premiers entre eux. On parle alors de triplet pythagoricien primitif, et nous allons maintenant nous intéresser à ces triplets particuliers.

Exemples : les triplets $(3,4,5)$ et $(5,12,13)$ sont primitifs, mais le triplet $(6,8,10)$ ne l'est pas car $\mathrm{pgcd}(6,8,10) = 2$.

Un premier résultat quasi immédiat les concernant est le suivant.

Lemme
Si $(x, y, z)$ est un triplet pythagoricien primitif, alors $x$ et $y$ sont de parités différentes et $z$ est impair.

Démonstration
Considérons $(x, y, z)$ un triplet pythagoricien primitif. On sait déjà que $x$ et $y$ ne sont pas tous les deux pairs, car $z$ le serait alors également et le triplet ne serait pas primitif. D'autre part, les nombres $x$ et $y$ ne peuvent pas être tous les deux impairs. En effet, si tel était le cas, on aurait $x \equiv y \equiv 1 \pmod 2$ et par suite $x^2 \equiv y^2 \equiv 1 \pmod 4$ (un carré n'étant jamais congru à $3$ modulo $4$). On aurait donc
$$z^2 \equiv x^2 + y^2 \equiv 2 \pmod 4,$$ ce qui est impossible puisque tout carré parfait pair (comme $z^2$) est multiple de $4$.
On en déduit que $x$ et $y$ sont forcément de parités différentes, et par suite que $z$ est impair.

Voici à présent la caractérisation des triplets pythagoriciens primitifs.

Théorème (triplets pythagoriciens primitifs)
Les triplets pythagoriciens primitifs $(x,y,z)$ avec $x$ impair (et $y$ pair) sont exactement donnés par
$$(p^2-q^2, \ 2pq, \ p^2+q^2)$$ où $p$ et $q$ sont des nombres premiers entre eux, de parités différentes et tels que $p > q$.

Démonstration
On voit directement que les triplets $(p^2-q^2, 2pq, p^2+q^2)$ avec $p > q$ premiers entre eux et de parités différentes sont des triplets pythagoriciens primitifs (avec $p^2-q^2$ impair). En effet, on a
$$(p^2-q^2)^2 + (2pq)^2 = p ^4 + q^4 - 2p^2 q^2 + 4p^2 q^2 = (p^2+q^2)^2$$ et les nombres $p^2-q^2$ et $p^2+q^2$ sont bien premiers entre eux (sinon, $p$ et $q$ ne seraient pas premiers entre eux).

La difficulté est donc de prouver le résultat réciproque, c'est-à-dire que tous les triplets pythagoriciens primitifs sont de cette forme. Pour ce faire, supposons que $(x,y,z)$ soit un triplet pythagoricien primitif avec $x$ impair et $y$ pair. On peut alors écrire $y = 2a$ et on a
$$y^2 = 4a^2 = z^2 - x^2 = (z-x)(z+x).$$ Comme $x$ et $z$ sont impairs, $z-x$ et $z+x$ sont pairs et on peut poser $z+x = 2b$ et $z-x = 2c$. On a alors
$$a^2 = bc.$$ Or, $b$ et $c$ sont premiers entre eux, car s'ils étaient divisibles par un même $k > 1$, ce nombre $k$ diviserait également $x$, $y$ et $z$ (contredisant le fait que notre triplet est primitif). On en déduit que $b$ et $c$ doivent tous les deux être des carrés parfaits, d'où on peut poser $b = p^2$ et $c = q^2$ et on a alors
$$\left\{\begin{align}
z & = b+c = p^2+q^2\\
x &= b-c = p^2 - q^2\\
y &= 2a = 2\sqrt{bc} = 2pq
\end{align}\right.$$ De plus, les nombres $p$ et $q$ sont bien premiers entre eux car le contraire impliquerait clairement que $\mathrm{pgcd}(x,y,z) > 1$.

Pour $(p, q) = (2,1)$ et $(p, q) = (3,2)$, on retrouve les triplets bien connus $(3,4,5)$ et $(5,12,13)$.

3. Descente infinie

La descente infinie est une méthode permettant de prouver qu'une équation diophantienne ne possède pas de solutions. En fait, cette méthode peut également être utilisée dans d'autres contextes. L'idée est d'associer, à toute solution $s$ (on suppose a priori qu'il en existe), un certain entier $n(s) \in \mathbb{N}$ et de montrer qu'à partir de toute solution $s$, on peut construire une autre solution $s'$ telle que $n(s') < n(s)$. On obtient ainsi une suite strictement décroissante d'entiers naturels, ce qui est absurde (une telle suite n'existant pas). Une autre façon de trouver une contradiction est de considérer une solution $s$ minimisant $n(s)$ et de conclure en contredisant la minimalité à partir de $s'$.

Exemple d'application

La descente infinie peut par exemple être utilisée pour montrer que $\sqrt{2}$ est irrationnel (même s'il est possible de procéder sans). En effet, on procède par l'absurde en supposant que $\sqrt{2}$ est rationnel, ce qui signifie qu'il existe $p, q \in \mathbb{N}$ tels que $\sqrt{2} = \frac{p}{q}$, ce qui s'écrit aussi
$$2q^2 = p^2.$$ Autrement dit, on désire montrer que cette équation (qui est une équation diophantienne d'inconnues $p$ et $q$) ne possède pas de solution. Procédons par l'absurde en supposant avoir une telle solution $(p, q)$. On voit que $p^2$, et donc $p$ est pair, d'où on peut poser $p = 2p'$. On a alors
$$q^2 = 2p'^2.$$ Nous avons donc une nouvelle solution à l'équation de départ : $(q, p')$. Intuitivement, celle-ci est plus petite puisque l'un des deux nombres a été divisé par deux. C'est dans un tel cas qu'il faut considérer la descente infinie : quand on est capable de construire une nouvelle solution plus "petite" dans un certain sens. Ici, on peut définir $n(p, q) = p+q$ et on a, à partir d'une solution $(p, q)$, trouvé une nouvelle solution $(q, p')$ telle que $n(q, p') < n(p, q)$. On peut donc conclure comme expliqué précédemment.

4. Équation de Pell

Une équation de Pell est une équation diophantienne de la forme
$$x^2 - Ky^2 = 1,$$ où $K$ est un entier positif qui n'est pas un carré parfait. Cette condition a priori étrange sur $K$ est en fait naturelle, puisque l'équation ne possède pas de solutions réellement intéressantes lorsque $K$ est un carré. En effet, si $K = L^2$, alors l'équation se réécrit $x^2 - (Ly)^2 = 1$, c'est-à-dire $(x-Ly)(x+Ly) = 1$, et les seules solutions sont $(1,0)$ et $(-1,0)$.

Un premier résultat intéressant concernant l'équation de Pell est le suivant.

Théorème (équation de Pell)
Si l'équation de Pell $x^2 - K y^2 = 1$ admet une solution $(x_1,y_1) \in \mathbb{N}_0^2$, alors elle en admet une infinité $(x_n, y_n) \in \mathbb{N}_0^2$ (avec $n \geq 1$) données par
$$\left\{\begin{align}
x_n = \frac{(x_1+\sqrt{K} y_1)^n + (x_1 - \sqrt{K}y_1)^n}{2}\\
y_n = \frac{(x_1+\sqrt{K} y_1)^n - (x_1 - \sqrt{K}y_1)^n}{2\sqrt{K}}
\end{align}\right. \quad (*)$$

Démonstration
Comme $(x_1,y_1)$ est solution, on a
$$x_1^2 - Ky_1^2 = 1,$$ ce qui peut se réécrire
$$(x_1 - \sqrt{K}y_1)(x_1 + \sqrt{K}y_1) = 1.$$ En élevant cette égalité à la puissance $n$, on obtient
$$(x_1 - \sqrt{K}y_1)^n(x_1 + \sqrt{K}y_1)^n = 1. \quad (1)$$ Or, par la formule du binôme de Newton (voir combinatoire), on sait que
$$(x_1 + \sqrt{K}y_1)^n = C^0_nx_1^n +C^1_n x_1^{n-1}y_1 \sqrt{K} + C^2_n x_1^{n-2}y_1^2K + \ldots + C^n_n y_1^n (\sqrt{K})^n.$$ Dans cette expression, un terme sur deux est entier (car il contient une puissance paire de $\sqrt{K}$ alors que les autres termes sont des multiples entiers de $\sqrt{K}$). On peut donc écrire
$$(x_1 + \sqrt{K}y_1)^n = x_n + \sqrt{K} y_n \quad (2)$$ avec $x_n, y_n \in \mathbb{N}$. Si on effectue le même raisonnement en développant $(x_1 - \sqrt{K}y_1)^n$, alors on obtiendra exactement les mêmes termes, hormis ceux multiples de $\sqrt{K}$ qui seront précédés d'un signe moins. Autrement dit, on a
$$(x_1 - \sqrt{K}y_1)^n = x_n - \sqrt{K} y_n, \quad (3)$$ où $x_n$ et $y_n$ sont les mêmes nombres que précédemment. En réinjectant $(2)$ et $(3)$ dans $(1)$, on obtient finalement
$$x_n^2 - Ky_n^2 = 1,$$ ce qui signifie que $(x_n,y_n)$ est à son tour solution de l'équation de Pell. De plus, on peut calculer $x_n$ et $y_n$ directement à partir de $x_1$ et $y_1$ en combinant les équations $(2)$ et $(3)$ et on retrouve exactement les formules de l'énoncé.

Si l'on trouve une solution (strictement positive) à une équation de Pell, alors on en a donc une infinité par la proposition précédente. En fait, on peut montrer que si $(x_1, y_1) \in \mathbb{N}_0^2$ est la plus petite des solutions, alors les solutions $(x_n, y_n)$ données par $(*)$ constituent toutes les solutions strictement positives de l'équation ! Par "plus petite" des solutions, on veut dire celle qui minimise $x$ (et qui minimise alors aussi $y$). On appelle celle-ci solution minimale de l'équation de Pell $x^2-Ky^2 = 1$. On peut alors montrer qu'une telle solution minimale existe, et qu'on peut trouver toutes les autres solutions à partir de celle-ci.

Théorème (équation de Pell)
L'équation de Pell $x^2-Ky^2 = 1$ possède une (unique) solution minimale $(x_0,y_0) \in \mathbb{N}_0^2$ et toutes les solutions strictement positives de cette équation sont données par les formules $(*)$ avec $(x_1,y_1) = (x_0,y_0)$ et $n \geq 1$.

Nous ne donnons pas la démonstration de ce résultat.