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Entiers et nombres algébriques

Définition

Tout d'abord, définissons les nombres algébriques et les entiers algébriques.

Définition (Nombres algébriques)
Soit $z\in\mathbb C$. On dit que $z$ est un entier algébrique s'il existe un polynôme $P\in\mathbb Z[X]$ unitaire tel que $P(z)=0$. De manière analogue, on dit que $z$ est un nombre algébrique s'il existe un polynôme $P\in\mathbb Q[X]$ tel que $P(z)=0$.

Remarquons que la condition "unitaire" est primordiale dans la définition d'entier algébrique, puisque si on retire cette condition on retombe sur la définition de nombre algébrique. En effet, on constate aisément que l'existence d'un polynôme $P \in \mathbb Z[X]$ tel que $P(z) = 0$ est équivalente à l'existence d'un polynôme $P \in \mathbb Q[X]$ tel que $P(z) = 0$.

Notons aussi que tout entier $e \in \mathbb Z$ est un entier algébrique (puisque racine du polynôme $P(X) = X-e \in \mathbb Z[X]$) et que tout rationnel $q \in \mathbb Q$ est un nombre algébrique (puisque racine du polynôme $P(X) = X-q \in \mathbb Q[X]$). Ceci explique en partie les notations suivantes :

Notation
On note $\overline{\mathbb Q}$ l'ensemble des nombres algébriques et $\overline{\mathbb Z}$ celui des entiers algébriques.

On dit également qu'un nombre $z\in\mathbb C$ est transcendant lorsqu'il n'est pas algébrique.

Voici à présent quelques exemples de nombres algébriques :

  • tous les nombres entiers sont des entiers algébriques, comme évoqué plus haut ;
  • $i$ est un entier algébrique (il s'agit d'une racine de $P(X) = X^2+1 \in \mathbb Z[X]$) ;
  • $2+\sqrt[4]3$ est un entier algébrique (il s'agit d'une racine de $P(X) = (X-2)^4-3 \in \mathbb Z[X]$) ;
  • tous les nombres rationnels sont des nombres algébriques, comme évoqué plus haut, mais un rationnel non-entier n'est par contre jamais un entier algébrique : il s'agit de la proposition suivante.

Proposition (entiers algébriques rationnels)
Si un entier algébrique est rationnel, alors il est entier. Autrement dit, $\overline{\mathbb Z}\cap \mathbb Q=\mathbb Z$.

Démonstration
Soit $q$ un entier algébrique qui est rationnel. Il existe donc un polynôme $P \in \mathbb Z[X]$ unitaire tel que $P(q) = 0$. Alors, par le deuxième lemme de ce point théorique, le dénominateur de $q$ doit diviser le coefficient dominant de $P$. Vu que le polynôme est unitaire, ce coefficient dominant est $1$ et le nombre $q$ est donc entier.

Pour différencier les entiers algébriques ($\overline{\mathbb Z}$) des entiers "normaux" ($\mathbb Z$) dans nos raisonnements, nous dirons parfois que ces derniers sont des entiers rationnels. En effet la proposition précédente nous indique qu'un entier algébrique est rationnel si et seulement si il est entier (au sens habituel du terme).

Même si tous les nombres algébriques ne sont pas des entiers, il faut noter que la relation entre $\overline{\mathbb Q}$ et $\overline{\mathbb Z}$ est proche de celle entre $\mathbb Q$ et $\mathbb Z$. Plus précisément, on a le résultat suivant.

Proposition
Soit $z \in \overline{\mathbb Q}$ un nombre algébrique. Alors, il existe un entier rationnel $N$ tel que $Nz$ soit un entier algébrique, i.e. $Nz \in \overline{\mathbb Z}$.

Démonstration
Soit $P=\sum\limits_{i=0}^na_iX^i\in\mathbb Q[X]$ un polynôme unitaire s'annulant en $z$. Soit $N$ le plus petit commun multiple (PPCM) des dénominateurs des nombres rationnels $a_i$, de sorte que $NP\in\mathbb Z[X]$. Alors, le polynôme
$$N^nP\left(\frac XN\right)=\sum_{i=0}^na_iN^{n-i}X^i$$ est bien unitaire, à coefficients entiers, et admet $Nz$ comme racine.

Mise en bouche

Pour motiver un peu la lecture de ce chapitre, on présente tout de suite une application de la stabilité des entiers algébriques par addition (que nous prouverons plus tard).

Problème
Quelles valeurs rationnelles l'expression $\cos(q\pi)$ peut-elle prendre lorsque $q$ est un nombre rationnel ?

Solution
On peut remarquer que le nombre $\cos(q\pi)$ est la partie réelle du nombre complexe $\omega = \exp(iq\pi)$. Or, ce nombre $\omega$ est une racine complexe de l'unité. En effet, si on note $q = \frac a b$, alors on a $\omega = \exp\left(i\frac{2a\pi}{2b}\right)$ qui est une racine $2b$-ème de l'unité : $\omega^{2b} = \exp(2ia\pi) = 1$. Ainsi, on a
$$2\cos(q\pi)=\omega+\overline{\omega}=\omega+\frac1\omega$$ qui est la somme de deux racines de l'unité, donc de deux entiers algébriques (car racines de $X^{2b}-1$). La somme de deux entiers algébriques étant un entier algébrique, le nombre $2 \cos(q\pi)$ est par conséquent toujours un entier algébrique. S'il est rationnel, alors il doit forcément être entier (car $\overline{\mathbb Z}\cap \mathbb Q=\mathbb Z$). Or, $-2\le2\cos(q\pi)\le2$ donc les seules valeurs entières possibles pour $2\cos(q\pi)$ sont $-2, -1, 0, 1$ et $2$. Il en découle donc que
$$\cos(q\pi) \in \mathbb Q \implies \cos(q\pi)\in\left\{-1,-\frac12,0,\frac12,1\right\}$$ lorsque $q \in \mathbb Q$, et ces valeurs sont réciproquement toutes atteintes.

Il est intéressant de constater que l'utilisation des propriétés de base des nombres algébriques nous a permis de résoudre facilement un problème a priori complexe dont l'énoncé ne laissait pas transparaitre qu'il avait un lien avec les nombres algébriques !